Le
sénateur Demostenes Torres, entouré de gardes de sécurité, à sa sortie
d'une audition devant la commission d'enquête parlementaire, à Brasilia,
le 12 avril.
UESLEI MARCELINO/REUTERS
Les Brésiliens assistent à un nouveau feuilleton mêlant corruption et politique
Le travail d'une commission d'enquête parlementaire pourrait peser sur Brasilia
C'est
une affaire à donner le tournis, une version grinçante d'un Meccano
façon poupées russes dont le gouvernement de la présidente Dilma
Rousseff se serait bien passé. Depuis plus d'un mois, il ne s'écoule pas
un jour au Brésil sans que les médias et plusieurs responsables
politiques du pays dénoncent l'existence d'un réseau de corruption
tentaculaire, aux multiples imbrications, impliquant élus locaux ou
nationaux, policiers véreux, hommes d'affaires adeptes de pots-de-vin et
magistrats aux méthodes douteuses.
L'incendie
s'est allumé à la suite de l'arrestation, le 29 février, de Carlos
Augusto Ramos, surnommé Carlinhos Cachoeira, " Charlie la cascade ", et
patron des jeux illégaux dans l'Etat de Goias. L'homme est une vieille
connaissance de la vie politique brésilienne. En 2004, il avait déjà été
à l'origine du scandale dit du " mensalao ", qui avait ébranlé
pendant plus d'un an le gouvernement et le Parti des travailleurs (PT)
du président Luiz Inacio Lula da Silva. Il était alors apparu sur un
enregistrement vidéo en train de négocier des commissions et versements
occultes avec Waldomiro Diniz, un collaborateur du ministre José Dirceu,
bras droit du chef de l'Etat à l'époque. M. Diniz fut limogé. M. Dirceu
démissionna. Mais Cachoeira s'en est sorti sans être inquiété.
Aujourd'hui,
il est rattrapé par une sombre histoire de machines à sous et de
blanchiment d'argent. Une banale enquête qui a ouvert la boîte de
Pandore, d'ores et déjà surnommée " Cachoeiragate ". Les enquêteurs ont
rassemblés quelque 40 000 pages, plusieurs dizaines d'épais dossiers,
plus de 11 000 heures d'enregistrements téléphoniques. Carlinhos
Cachoeira y figure au coeur d'un système dans lequel seraient impliqués,
selon les premières révélations, pas moins de trois sénateurs, cinq
députés fédéraux, quatre entreprises publiques et privées. Plus de 80
collaborateurs de Cachoeira seraient directement visés par la justice. " Si tu ne paies pas tout le monde, - le système - ne marche pas ", aurait habilement résumé, lors d'un coup de fil, un de ses proches.
Créée
le 19 avril, une commission d'enquête parlementaire (CPI) chargée
spécialement de l'affaire vient de rendre public un premier calendrier
des auditions. On évoque un total de 167 demandes de comparution. Un
responsable éditorial du magazine conservateur Veja serait dans le collimateur. Carlinhos Cachoeira est attendu le 17 mai.
Demostenes
Torres, sénateur de l'opposition réputé incorruptible, viendra
s'expliquer deux semaines plus tard. Il est soupçonné d'avoir négocié
des contrats de travaux publics en échange de rétrocommissions. Quelque
300 appels téléphoniques avec Cachoeira auraient été interceptés.
Le
29 mai viendra le tour de Claudio Dias de Abreu. Placé en détention,
cet ancien responsable de la région du centre-ouest au sein de
l'entreprise de construction Delta aurait directement négocié des
marchés avec les élus locaux. Quelque neuf Etats seraient concernés.
L'homme
aurait prévenu Cachoeira d'éventuelles opérations policières. D'après
les révélations de la presse, ce dernier aurait reçu de Delta plusieurs
virements douteux de 99 000 reals (39 300 euros) - à partir de 100 000
reals, un virement déclenche automatiquement une enquête du fisc
brésilien.
Avec
le groupe Delta, l'affaire prend une dimension nouvelle et surtout
incontrôlable. Impliquée dans les travaux de rénovation pour la Coupe du
monde de 2014, l'entreprise a signé des contrats à hauteur de 358
millions de reals avec Rio de Janeiro et 884,4 millions avec les
autorités fédérales.
A
la suite du scandale, elle vient de mettre un terme à son activité au
stade mythique du Maracana, laissant seuls le géant Odebrecht et la
société Andrade Gutierrez pour finir l'ouvrage. D'autres sites
pourraient être concernés, ce qui augure de nouveaux retards dans les
préparatifs du Mondial.
Aujourd'hui
écarté de Delta, le président Fernando Cavendish pourrait être entendu à
son tour par la CPI. L'homme, qui a dirigé pendant vingt-deux ans
l'entreprise, est un proche de Sergio Cabral, le gouverneur de l'Etat de
Rio de Janeiro et membre influent du Parti du mouvement démocratique
brésilien (PMDB, centre), un des piliers de la coalition
gouvernementale. Des photos montrant les deux hommes en voyage
d'affaires à Paris ont été publiées, jeudi 3 mai, dans les principaux
médias. Des clichés transmis par Anthony Garotinho, député de
l'opposition et lui-même ancien gouverneur démis de ses fonctions en
2002 pour une histoire de corruption.
Alors
que le gouvernement avait applaudi des deux mains la création de la
CPI, avec même une intervention remarquée de Lula, il semble que Dilma
Rousseff et ses alliés aient adopté un profil plus bas à l'égard de
cette affaire.
Toujours
au sommet des sondages, grâce notamment à sa fermeté affichée face aux
ministres soupçonnés de corruption, la présidente pourrait voir d'un
très mauvais oeil une enquête venir perturber un agenda politique chargé
et menacer une coalition gouvernementale déjà bien fragile.
Nicolas Bourcier
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